Puisque mai tout en fleurs…

Extrait de la comédie musicale adaptée des Misérables (1862).

Cette comédie musicale, dont la musique est écrite par Claude-Michel Schönberg a d’abord été créée en France et en français en 1980. Nous chantons un medley issu de sa version anglophone, ce qui peut sembler surprenant. C’est lié à un problème de droits, mais aussi au fait que c’est dans cette version qu’elle a connu un succès mondial.

Extrait de l’opéra Esmeralda, adaptée du roman Notre-Dame de Paris (1831)

Cet opéra a été composé en 1836 par la compositrice Louise Bertin. Le livret est signé par Hugo lui-même. Plutôt bien accueillie par le public, l’œuvre a cependant eu du mal à s’imposer sur la durée, d’abord parce qu’Hugo était à cette époque la cible d’attaques violentes de la part de la critique, ensuite parce que son autrice était une femme et que les femmes avaient, au XIXe siècle et jusqu’à très récemment, le plus grand mal à se faire reconnaitre comme autrices d’opéra.

« La donna è mobile », extrait de Rigoletto de Verdi (1851), adapté du Roi s’amuse de Victor Hugo (1832)

Le texte de cet aria célébrissime est assez peu entendable à l’heure de MeToo, tant il est marqué du sexisme du personnage qui le porte, personnage qui décrit les femmes comme changeantes et légères. Ce texte est une libre adaptation à partir de quelques vers du Roi s’amuse, pièce de Victor Hugo centrée sur le personnage de Triboulet, bouffon du roi François Premier.

« Le Toréador », musique de Paulien Viardot, texte de Victor Hugo

Le texte, daté du 10 décembre 1854, apparait dans les œuvres complètes d’Hugo sous le titre « Cancion » (chanson en espagnol). Pauline Viardot est une compositrice et cantatrice française contemporaine de Victor Hugo. Elle était la sœur de la Malibran, l’une des plus grandes cantatrices de son époque, et s’est fait notamment connaitre pour son art de la mélodie.

J’avais une bague, une bague d’or
Et je l’ai perdue hier dans la ville ;
Je suis pandériste et toréador,
Guitare à Grenade, épée à Séville.

Mon anneau luit plus que l’astre vermeil ;
Le diable, caché dans l’œil de ma brune,
Pourrait seul produire un bijou pareil
S’il faisait un jour un trou dans la lune.
 
Si vous retrouvez l’anneau n’importe où,
Rapportez-le-moi. C’est Gil qu’on me nomme.
Certes, je vaux peu ; je ne suis qu’un sou,
Mais près d’un liard je suis gentilhomme.

Je n’ai que mon chant comme le moineau.
Rendez-moi ma bague, et que Dieu vous paie !
Vous connaissez Jeanne ? Eh bien, cet anneau,
C’est, avec son cœur, le seul or que j’aie.

« Rêve d’amour », musique de Gabriel Fauré, Paroles de Victor Hugo.

Le poème est le douzième poème des Chants du crépuscule, 1835 ; intitulé « Nouvelle chanson, sur un vieil air ». Il en existe deux manuscrits, dont l’un est envoyé à Juliette Drouet, la maitresse d’Hugo. La musique, comme celle de « Mai » et des « Djinns » est composée par Gabriel Fauré. Ce compositeur, partiellement contemporain de Victor Hugo, a mis en musique un assez grand nombre de ses poèmes très célèbres à cette époque. Il a d’ailleurs fréquenté assidument le salon de Pauline Viardot dont il failli épouser la fille.

S’il est un charmant gazon
Que le ciel arrose,
Où brille en toute saison
Quelque fleur éclose,
Où l’on cueille à pleine main
Lys, chèvrefeuille et jasmin,
J’en veux faire le chemin
Où ton pied se pose !

S’il est un sein bien aimant
Dont l’honneur dispose,
Dont le ferme dévouement
N’ait rien de morose,
Si toujours ce noble sein
Bat pour un digne dessein,
J’en veux faire le coussin
Où ton front se pose !

S’il est un rêve d’amour
Parfumé de rose,
Où l’on trouve chaque jour
Quelque douce chose,
Un rêve que Dieu bénit,
Où l’âme à l’âme s’unit,
Oh ! j’en veux faire le nid
Où ton cœur se pose !

18 février 1834.

« La chanson du fou », Odes et ballades, 1825, (ballade 10 « À un passant », texte en exergue)

Le texte, écrit par Hugo, est placé en exergue du poème « À un passant », dixième ballade des Odes et ballades parues en 1825. Il apparait par ailleurs dans Cromwell (pièce écrite et créée en 1825) chantée par le fou Elespuru (IV, 1). Nous reproduisons la totalité du texte tel que publié dans le recueil. Georges Bizet, lui aussi contemporain de Hugo, est l’un des compositeurs français le splus connus de l’époque romantique.

BALLADE DIXIÈME. À UN PASSANT.

Au soleil couchant
Toi qui vas cherchant
Fortune
Prends garde de choir ;
La terre, le soir
Est brune.

L’océan trompeur
Couvre de vapeur
La dune.
Vois, à l’horizon,
Aucune maison !
Aucune !

Maint voleur te suit ;
La chose est, la nuit,
Commune.
Les dames des bois
Nous gardent parfois
Rancune

Elles vont errer ;
Crains d’en rencontrer
Quelqu’une.
Les lutins de l’air
Vont danser au clair
De lune.

La Chanson du fou.

Voyageur, qui, la nuit, sur le pavé sonore
De ton chien inquiet passes accompagné,
Après le jour brûlant, pourquoi marcher encore :
Où mènes-tu si tard ton cheval résigné ?

La nuit ! — Ne crains-tu pas d’entrevoir la stature
Du brigand dont un sabre a chargé la ceinture,
Ou qu’un de ces vieux loups, près des routes rôdants,
Qui du fer des coursiers méprisent l’étincelle,
D’un bond brusque et soudain s’attachant à ta selle,
Ne mêle à ton sang noir l’écume de ses dents ?

Ne crains-tu pas surtout qu’un follet à cette heure
N’allonge sous tes pas le chemin qui te leurre.
Et ne te fasse, hélas ! ainsi qu’aux anciens jours,
Rêvant quelque logis dont la vitre scintille

Et le faisan, doré par l’âtre qui pétille,
Marcher vers des clartés qui reculent toujours ?

Crains d’aborder la plaine où le sabbat s’assemble,
Où les démons hurlants viennent danser ensemble ;
Ces murs maudits par Dieu, par Satan profanés,
Ce magique château dont l’enfer sait l’histoire,
Et qui, désert le jour, quand tombe la nuit noire,
Enflamme ses vitraux dans l’ombre illuminés !

Voyageur isolé, qui t’éloignes si vite,
De ton chien inquiet la nuit accompagné,
Après le jour brûlant, quand le repos t’invite,
Où mènes-tu si tard ton cheval résigné ?

22 octobre 1825.

« Nuits de Juin », texte de Victor Hugo, musique d’Adèle Hugo.

Ce poème est extrait du recueil Les Rayons et ombres et daté de 1837. Sa mise en musique par la dernière-née de Victor Hugo, Adèle, a récemment été redécouverte. Jusqu’à il y a peu Adèle Hugo était surtout connue à travers le portrait qu’en a fait François Truffaut dans Adèle H. : celui d’une femme sombrant dans la folie obsessionnelle. Si les souffrances psychologiques d’Adèle sont une réalité attestée, cette découverte récente en fait aussi une artiste.

L’été, lorsque le jour a fui, de fleurs couverte
La plaine verse au loin un parfum enivrant ;
Les yeux fermés, l’oreille aux rumeurs entrouverte,
On ne dort qu’à demi d’un sommeil transparent.

Les astres sont plus purs, l’ombre paraît meilleure ;
Un vague demi-jour teint le dôme éternel ;
Et l’aube douce et pâle, en attendant son heure,
Semble toute la nuit errer au bas du ciel.

« L’araignée et l’ortie » poème XXVII du livre 3 des Contemplations, 1856

J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,
Parce qu’on les hait ;
Et que rien n’exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;

Parce qu’elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu’elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;

Parce qu’elles sont prises dans leur œuvre ;
Ô sort ! fatals nœuds !
Parce que l’ortie est une couleuvre,
L’araignée un gueux;

Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes,
Parce qu’on les fuit,
Parce qu’elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit.

Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh ! plaignez le mal !

Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie
De les écraser,

Pour peu qu’on leur jette un œil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe
Murmurent : Amour !

Juillet 1842

Les Djinns, 1829, Les Orientales, musique de Gabriel Fauré

Ce poème est célèbre notamment du fait de la recherche rythmique dont il témoigne puisque les strophes sont d’abord de plus en plus longues (2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 puis 10 syllabes) avant de décroitre de manière symétrique. Les djinns sont des esprits qui apparaissent dans le Coran et les Mille et une nuits mais l’édition Pléiade des œuvres de Victor Hugo note que les caractéristiques que lui prête Hugo font davantage penser à une forme de surnaturel médiéval européen qu’aux véritables djinns des textes orientaux.

XXVIII
LES DJINNS.

E come i gru van cantando lor lai
Facendo in aer di se lunga riga,
Cosi vid’ io venir traendo guai
Ombre portate dalla detta briga.

Dante.

(Et comme les grues qui font dans l’air de longues files vont chantant leur plainte, ainsi je vis venir traînant des gémissements les ombres emportées par cette tempête.)

Murs, ville,
Et port.
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C’est l’haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu’une flamme
Toujours suit !

La voix plus haute
Semble un grelot.

D’un nain qui saute
C’est le galop.
Il fuit, s’élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d’un flot.

La rumeur approche.
L’écho la redit.
C’est comme la cloche
D’un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s’écroule,
Et tantôt grandit.

Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !… Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l’escalier profond.
Déjà s’éteint ma lampe,
Et l’ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu’au plafond.

C’est l’essaim des Djinns qui passe.
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l’espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près ! — Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée

De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu’une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !

Cris de l’enfer ! voix qui hurle et qui pleure !
L’horrible essaim, poussé par l’aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s’abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l’on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu’il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !

Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J’irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d’étincelles,
Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !

Ils sont passés ! — Leur cohorte
S’envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L’air est plein d’un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l’on croit

Ouïr la sauterelle
Crier d’une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d’un vieux toit.

D’étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s’élève,
Et l’enfant qui rêve
Fait des rêves d’or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu’on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s’endort,
C’est la vague
Sur le bord ;
C’est la plainte,
Presque éteinte,
D’une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit…
J’écoute : —
Tout fuit,

Tout passe ;
L’espace
Efface
Le bruit.

28 août 1828.

« Puisque Mai tout en fleurs » Les chants du crépuscule, XXXI 1835, musique de Gabriel Fauré.

Une seconde version de ce texte (légèrement différente) est envoyée à Juliette Drouet dans une lettre.

Puisque mai tout en fleurs dans les prés nous réclame,
Viens ! ne te lasse pas de mêler à ton âme
La campagne, les bois, les ombrages charmants,
Les larges clairs de lune au bord des flots dormants,
Le sentier qui finit où le chemin commence,
Et l’air et le printemps et l’horizon immense,
L’horizon que ce monde attache humble et joyeux
Comme une lèvre au bas de la robe des cieux !
Viens ! et que le regard des pudiques étoiles
Qui tombe sur la terre à travers tant de voiles,
Que l’arbre pénétré de parfums et de chants,
Que le souffle embrasé de midi dans les champs,
Et l’ombre et le soleil et l’onde et la verdure,
Et le rayonnement de toute la nature
Fassent épanouir, comme une double fleur,
La beauté sur ton front et l’amour dans ton cœur !