Hommage à Notre Dame

La chute de la flèche de la Cathédrale de Paris au soir du 15 avril a été vécue comme une destruction douloureuse. Si les voûtes sont l’écrin de la musique, il est d’autres trésors, issus de ces pierres, qui nous élèvent au-delà des ravages du temps. On connaît peu, en effet, les premières polyphonies de la Cathédrale de Notre-Dame de Paris, foyer extrêmement important de création musicale au XIIe siècle, dont les œuvres sont un modèle pour le développement de la Polyphonie en Europe pour les siècles qui suivent. Le Chœur de l’Université de Strasbourg chantera celles de la Nativité au temps d’un Moyen-Âge oublié, accompagné par Arthur Skoric, à l’orgue.

À partir de l’époque romantique, ce sont à nouveau des compositeurs en lien avec Notre Dame, les organistes de la Cathédrale, qui signent des pages plus harmoniques, mais toujours pétries de cette culture musicale religieuse médiévale qui marque le style français néo-classique. Un beau voyage dans le temps, partant d’un lieu phare.

Affiche du concert "Hommage à Notre Dame"
Affiche conçue par Margaux Michel

Petite brève du parvis n° 1

Dès le Moyen-Âge, la Cathédrale Notre Dame de Paris a été un phare de la Chrétienté, et pas uniquement à cause de l’élévation de sa flèche. Durant un siècle, de 1160 à 1250, elle a été un centre de création musicale qui a servi de modèle dans toute l’Europe et d’inspiration à la musique polyphonique naissante en Occident. Le Répertoire de cette époque est d’ailleurs dit « de l’école de Notre Dame ». Il est peu chanté comparativement à d’autres répertoires, les sources, difficiles de lecture, étant toujours l’objet de recherche des musicologues. C’est aussi souvent une musique de solistes, à voix égales (masculines). La configuration du Chœur à quatre voix est peu compatible avec la musique de cette époque. Il nous a fallu regrouper différemment les chanteurs pour recréer, au XXIe siècle, la Schola des petits chanteurs de la Cathédrale. Mais qu’est-ce qui caractérise donc la musique de l’école de Notre Dame ? Vous le saurez… dans la prochaine brève du parvis.

Bonne nouvelle : la Cathédrale de Paris reste un repère au-delà des outrages du temps portés à l’édifice. La musique autant que les pierres a vertu d’élever les âmes. Saint Augustin ne nous contredirait pas.

Petite brève du parvis n° 2

L’essor de la musique occidentale prend racine dans la musique religieuse du Moyen-Âge. Mais quel Moyen-Âge ? Sûrement, le répertoire n’est pas identique en l’an 800 ou à la veille de la prise de Constantinople ? En fait, oui ; et non.

Oui, parce que le corpus de chant liturgique communément appelé chant grégorien est à peu près achevé l’année du couronnement de Charlemagne, bien qu’il ne soit pas unifié autour d’une seule pratique. Ce corpus sera pratiqué jusque dans les années 1960, lorsque le concile du Vatican 2 voit dans l’ouverture à d’autres sensibilités musicales un moyen d’être plus proche des fidèles.

Non, parce que ce Répertoire a très vite été complété, commenté, détourné, tout en servant de trame sous diverses formes à la création musicale contemporaine… en 1250.

Aux XIIe et XIIIe siècles, la musique est aussi le reflet de sa société. Au temps où les cathédrales s’élèvent, les chants font de même. La belle aventure de la polyphonie a commencé.

Elle prend pour matériau ce répertoire de grégorien que tous les chantres connaissent par cœur ; on invente des pièces musicales à deux, trois et même quatre voix. La première expression de la polyphonie est naturellement le bourdon, puis, comme dans toute recherche, des essais fusent dans différentes directions : si on chantait la même mélodie plus haut (organum parallèle) ? Si, comme lorsqu’on invente aujourd’hui des paroles sur une chanson connue lors d’un mariage par exemple, on ajoutait des mots aux vocalises des Alleluia (trope) ? Et si, comme pour le gâteau de la Reine d’Angleterre dont on prélève chaque jour un petit morceau pour servir de levain à celui du lendemain, on détachait un mot, un groupe de notes, d’une pièce grégorienne ? Dans le graduel de Noël, Viderunt omnes, le mot « omnes » est isolé, rythmé, puis repris solidement en boucle, il permet de construire une seconde voix et/ou une troisième voix avec un ou plusieurs nouveau(x) texte(s). Le motet est né.

L’activité musicale est donc intense à Paris, grâce à l’Université naissante et à la Cathédrale de Notre Dame qui produit énormément de compositions dans le temps même de son élévation. Ce sont d’abord de nouvelles formes musicales que l’on peut découvrir, comme l’organum fleuri ou le conduit.

Le conduit à son origine accompagnait probablement un déplacement (l’entrée dans l’église ?), aussi son texte est-il para-liturgique, édifiant pour le chrétien. C’est avec le célèbre conduit de Pérotin, Beata Viscera, qu’au nous vous conduirons à l’organum, dont nous parlerons… dans la prochaine brève du parvis !

Petite brève du parvis n° 3

Ce qui caractérise les polyphonies de Notre Dame, ce n’est pas tant le lieu où elles ont été inventées (Beauvais, Las Huelgas, Sens…) que celui où elles sont chantées – l’église en construction – et surtout, un style de polyphonies.

Le procédé de hoquet, au nom suggestif, fait rebondir les voix rythmiquement les unes contre les autres. Il est un des développement possibles des modes rythmiques utilisés. Alors que le grégorien nous guide très sûrement grâce à des appuis donnés par le texte, le chant à plusieurs nécessite une battue commune plus régulière pour bien être ensemble. Pour habiter ce tactus sans trop de difficultés – l’écriture rythmique est à ses débuts – les improvisateurs de l’époque s’inspirent des six modes rythmiques issus du théâtre antique, composition de notes grèves et longues, toujours dans une dynamique ternaire, ce chiffre 3 magique en harmonie avec la Trinité. Le plus utilisé de ces modes est le premier (longue-brève), que l’on retrouve dans de nombreuses pièces du Magnus Liber Organi qui a consigné par écrit ces improvisations aux côtés d’autres compositions originales. C’est aussi celui des organae qui seront chantés au concert. L’origine du terme organum n’est pas élucidée : s’agit-il de l’organe vocal, du petit orgue que l’on tient sur ces genoux pour accompagner ? C’est de toute façon le procédé polyphonique qui nous intéresse. Comme les chanteurs connaissent par cœur le répertoire de plain-chant (= chant grégorien), il est aisé à l’improvisateur de broder par-dessus et d’arriver sur les notes perçues comme consonantes au XIIe siècle. En jazz aussi, me direz-vous, on fait de même avec des standards. Certes, mais le thème n’est que suggéré dans l’improvisation alors que dans l’organum il est complètement présent, souvent étiré comme du chewing-gum pour placer au-dessus de nombreuses fioritures. La voix du bas qui tient l’ensemble prend le nom de teneur. Elle est à l’origine du ténor que nous connaissons. Chose extraordinaire à une époque où les œuvres ne comportent généralement pas la signature de leur auteur, l’organum fleuri, ainsi dénommé, nous est parvenu avec les noms de deux représentants emblématiques dont Léonin « optimus organista » (comprenez le meilleur improvisateur d’organum). C’est écrit dans l’Anonymous 4, qui est devenu depuis le nom d’un ensemble féminin américain dont je ne me lasse pas.

Vous chantiez ? J’en suis fort aise. Déchantez maintenant.

Pérotin, déçu des œuvres du Magnus Liber Organi s’apprête à les remanier… absolument pas. Pérotin, le successeur de Léonin et compositeur d’organum, avait le titre d’« optimus discantor ». C’est dire qu’après quelques pièces qui pratiquaient le parallélisme des voix, on a très vite, dès le XIe siècle, préféré le mouvement contraire. Vous avez quelque chose d’analogue lorsque vous découpez un papier plié pour faire des décorations de Noël : en le dépliant, vous avez l’exacte inversion des lignes, en miroir. Pérotin pratiquait le discantus en virtuose. Un autre ensemble fameux de musique médiévale s’est approprié ce nom.

Programme

  • Beata Viscera, conduit monodique de l’école de Notre Dame : Pérotin
  • Motets sur une teneur tirée du mot « omnes » du Viderunt : manuscrit de Montpellier
  • Graduel de Noël Viderunt omnes, Anonyme
  • Domine salvam fac Galliam, Anonyme
  • Alleluia Nativitas, organum duplum de l’école Notre Dame avec clausule de substitution : Léonin
  • Alleluia Nativitas, organum triplum de l’école de Notre Dame : Pérotin
  • Alleluia Nativitas, Anonyme, XIVe siècle
  • Le cygne, extrait du Carnaval des animaux, de Camille Saint-Saëns, interprété à l’orgue par Arthur Skoric
  • Domine non secundum, de César Franck
  • Ave Maria de Camille Saint-Saëns
  • Ave Maria de Gabriel Fauré
  • Litanies de la Sainte Vierge, d’Alexandre Guilmant
  • Marche des marseillois, de Claude Balbastre, interprété à l’orgue par Arthur Skoric
  • Chantez Noël, de Charles Gounod
  • Fugue sur le nom d’Alain, de Maurice Duruflé
  • Aspiration, d’Edward Elgar
  • Noël, de Gabriel Fauré
  • Cantique de Jean Racine, de Gabriel Fauré