Si John Rutter (1945—) est l’un des heureux compositeurs du XXe siècle autant chantés, c’est qu’il a su mettre à profit une riche expérience dans le domaine choral comme chanteur, chef et arrangeur, avec une écriture dans laquelle les voix s’épanouissent avec bonheur comme dans la pure tradition liturgique anglaise.
Le Magnificat, appelé aussi Cantique de Marie, est d’abord une louange, celle de Marie, d’avoir été choisie pour porter le Sauveur ; c’est aussi le bonheur de l’attente de l’enfantement, inespéré pour Élisabeth auprès de qui Marie se rend pour partager cette nouvelle, Élisabeth réputée stérile et âgée, dont l’ange Gabriel a prédit qu’elle donnerait elle aussi la vie à un fils. Zacharie, incrédule, est frappé de mutisme jusqu’à l’heureux dénouement ; son histoire s’inscrit doublement dans celle de la musique car c’est de ce récit mis sous forme d’hymne que part Gui d’Arezzo pour inventer un moyen de mémoriser les hauteurs musicales en s’inspirant des premières syllabes de chaque vers du récit : ré, mi, fa, vous connaissez la suite. Le Magnificat est donc un texte doublement fétiche pour les musiciens. Hymne de louange et de Foi, le Magnificat grégorien s’élève au moment des Vêpres catholiques ou des evensong anglicans, dans divers tons, ici le premier en ouverture du concert.
John Rutter reprend donc ici le célèbre passage de l’Évangile de Luc (1, 46 à 56) mis en musique par de nombreux musiciens avant lui ; pourtant, son œuvre ne manque pas d’être originale. En témoigne tout d’abord ce Noël populaire du XVe siècle, Of a rose, a lovely rose, inséré après le début, lumineux, de l’énoncé du texte d’origine. L’histoire de ce bouton de rose que fait fleurir Marie fait référence au passage d’Isaïe (11, 1) « Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines ››. Il n’est pas sans rappeler le Noël allemand Es ist ein Ros’ entsprungen, et d’autres que nous ne citerons pas ici mais qui sont comme autant de liens entre populaire et savant, tradition et modernité. Le thème nous a d’ailleurs inspiré d’aller chercher non d’autres Magnificat, mais de ces petites chansons que l’on aime se remémorer de notre propre enfance pour les partager à nouveau avec la génération à venir, tout comme les berceuses, dans ce temps d’attente portée par le souffle de la musique, à nous qui ne sommes pas punis comme Zacharie.
Lorsque le compositeur s’est attelé au Magnificat en 1990, ce sont les images de célébrations mariales mexicaines et porto-ricaines, dansées dans les rues qui ont, il le dit lui-même, guidé sa plume. De fait, l’œuvre joue du contraste entre les rythmes chaloupés latino-américains et les courbes mélodiques non pulsées en hommage au grégorien. Les sept parties jouent tour à tour le jeu d’harmonies chatoyantes ou de contrepoints scabreux et rebondissent l’une sur les autres de la diversité de leurs caractères : Lumineux et plein de joie, tranquille et allant, majestueux.
Programme
- Magnificat, de John Rutter
- Lullaby, traditionnel américain, arrangement de C. Gerlitz
- Lulajże Jezuniu, traditionnel polonais, arrangement A. Desbizet
- Wele wele wetka, traditionnel polonais, arrangement A. Desbizet
- Señora Doña Maria, Noël populaire chilien, arrangement E. Daniel
- Oj, koled, Noël populaire bulgare, arrangement P. Arabov
- Petit pot pourri de Noël pour public et Cho-U
- Sinfonietta pour boites à musique et pièces chantantes